La distorsion linguistique
- Anik Pelletier

- 23 oct.
- 3 min de lecture
Je m’inspire ici de cet article (en anglais) sur la controverse autour des propos de Jimmy Kimmel sur Charlie Kirk. Qu’est-ce que c’est, au juste, la distorsion linguistique? En gros, il s’agit de déformer des propos pour manipuler les perceptions. Ainsi, ce qui devrait sembler banal devient monstrueux et ce qui est inacceptable devient excusable.

La première technique de distorsion est l’inflation du langage. Elle consiste à grossir un geste ou un propos ordinaire jusqu’à le rendre choquant. Par exemple, qualifier une critique satirique de « comportement le plus abject » donne l’impression que l’auteur a franchi une ligne rouge, alors qu’il ne s’agit que d’une blague. Résultat : la cible est punie de façon disproportionnée et sa crédibilité est attaquée.
À l’inverse, il existe l’atténuation du langage. Ici, des comportements répréhensibles – parfois discriminatoires ou contraires à l’éthique – sont enveloppés dans des formules élogieuses ou neutres. On parle alors de « franchise » ou de « courage » là où il serait plus juste de dénoncer des propos racistes, sexistes ou transphobes. L’effet est de protéger la personne fautive et de minimiser la gravité de ses gestes.
Pourquoi je vous parle de ce phénomène? Parce qu’il prend de plus en plus de place dans la sphère publique, notamment en politique. Le phénomène est très présent aux États-Unis, mais le Canada n’est pas à l’abri. Pour des exemples récents, je vous invite à continuer votre lecture sur mon blogue.
En matière d’atténuation, le vice-président des États-Unis, JD Vance, nous en donne le « parfait » exemple. Il a récemment balayé du revers de la main les critiques à l’endroit d’un groupe de jeunes républicains qui se sont échangés des textos qui donnent froid dans le dos. Selon lui, il est normal que des jeunes fassent et disent des conneries, particulièrement les jeunes garçons. Sauf que ces jeunes n’étaient pas des enfants, mais bien des adultes, et que leurs propos sont racistes, antisémites, homophobes et font référence aux chambres à gaz, à l’esclavagismes et au viol. Des propos d’une violence extrême deviennent une simple erreur de jeunesse. Ce qu’il nous dit, c’est qu’il n’y a rien à voir, passez votre chemin.
Les exemples d’inflation sont légion. On peut penser à la façon dont la droite états-unienne nomme les organisations de gauche, devenues les « ennemis intérieurs ». Selon Donald Trump, le parti démocrate est devenu le parti de la haine, du mal et de Satan. Rien de moins.
Plus près de nous, le premier ministre François Legault affirmait au début d’octobre que le gouvernement allait « prendre tous les moyens possibles pour contrer les assauts contre nos valeurs communes. » Et bien entendu, ces assauts viennent surtout des islamistes radicaux. Quelques jours plus tard, le ministre Roberge appelait la population québécoise à se réveiller face à l’islamisme radical. Je ne sais pas pour vous, mais je ne vois pas vraiment d’islamisme radical autour de moi. Et j’habite un quartier de Montréal qu’on a baptisé le petit Maghreb.
En politique fédérale, le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, ne donne pas sa place en matière d’inflation du langage. La Presse rapportait le 17 octobre dernier qu’il avait affirmé « que les responsables des scandales de l’époque Trudeau auraient dû être emprisonnés. » Il aurait a aussi assimilé le socialisme au nazisme. André Lamoureux, professeur de sciences politiques à l’UQAM, rappelle que M. Poilievre « lance des affirmations simplifiées alors que ces choses-là sont plus complexes, pour frapper l’imaginaire. »
Les affirmations exagérées, mêmes celles qui dépassent l’entendement et la décence, attirent l’attention, ravivent la colère et provoquent la peur. Le cocktail parfait pour convaincre l’électorat, malheureusement.



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