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Choix des mots et prise de position

Dans mon mémoire de maîtrise déposé en 2023, je me suis penchée sur la langue comme pilier de la responsabilité sociale des organisations. J’y ai notamment observé comment le choix des mots pouvait constituer une prise de position. Voici quelques exemples qui illustrent bien la façon dont diverses organisations ont choisi sciemment d’adopter une terminologie précise en lien avec leurs valeurs, leur mission et leurs responsabilités envers leurs parties prenantes et la société.



En juillet 2022, le journal français Le Monde rapportait que la ville de New York avait demandé à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de cesser d’utiliser l’expression « variole du singe » en raison du caractère stigmatisant de la terminologie, qui constituerait un frein aux soins. Selon le commissaire à la santé de la ville de New York, la terminologie utilisée pour nommer cette maladie stigmatise les victimes, limite les soins et est ancrée dans une histoire raciste et douloureuse des communautés de couleur. Le commissaire a tiré la sonnette d’alarme afin de sensibiliser le monde entier aux répercussions du choix des mots. Dans ce cas précis, on jugeait que le terme utilisé affectait la prise en charge de la patientèle aux prises avec une maladie considérée par l’OMS comme une urgence de santé publique. On n’a pas hésité à faire valoir la responsabilité sociale de l’OMS de bien peser ses mots.


Kiev ou Kyiv? En mars 2022, l’éditeur adjoint de La Presse publiait une mise au point sur le choix de cesser d’utiliser la graphie d’origine russe et de privilégier plutôt la graphie ukrainienne. « Kiev est en effet l’appellation russe, qui colle à la ville en raison de son passé russe, puis soviétique (…) Le choix de privilégier Kyiv (ainsi que Kharkiv et Lviv) peut donc être vu comme un appui à un pays démocratique visé par une invasion barbare... » Il s’agit d’un autre exemple que les mots ont un effet et que le langage utilisé fait partie des stratégies de communication et de positionnement des organisations.


La Presse a également expliqué un autre choix terminologique important, cette fois dans le dossier de l’avortement. Dans un long texte intitulé « Doit-on dire pro-vie… parce qu’ils disent pro-vie? », le vice-président information et éditeur adjoint du quotidien expliquait à l’automne 2021 que certaines décisions terminologiques de l’équipe de rédaction étaient influencées par l’aspect critiqué, controversé, litigieux ou même éthique des mots. La rédaction de La Presse a choisi les expressions pro-choix et anti-avortement pour désigner les groupes qui sont pour ou contre l’avortement.


Dans son argumentaire, François Cardinal mentionne la portée de certaines expressions véhiculées par les deux camps et conclut en affirmant que l’objectif de l’équipe de rédaction de La Presse est de se tenir loin de toute prise de position et plutôt de refléter les opinions pour (pro-choix) et contre (anti-avortement). Dans ce cas, on privilégie une certaine neutralité – quoique cette neutralité constitue tout de même d’une prise de position –, mais ce texte illustre bien les répercussions du choix des mots sur les perceptions du public et le positionnement de la rédaction pour éviter d’influencer dans un sens ou dans un autre.


L’environnement constitue un autre secteur où les mots ont de l’importance. Dans le contexte actuel, les termes que les organisations choisissent pour décrire la crise climatique, par exemple, peuvent avoir des répercussions sur la perception du message et même les comportements qui en découlent. En témoigne la décision du journal The Guardian en 2019 d’adapter la terminologie utilisée en lien avec le climat et l’environnement. Voici quelques exemples de changements adoptés par The Guardian.

Ancienne terminologie

Terminologie adoptée en 2019

Climate change

Climate emergency ou climate crisis

Climate sceptic

Climate science denier ou climate denier

Carbon emissions ou carbon dioxide emissions

Greenhouse gas emissions

Biodiversity

Wildlife

Global warming

Global heating

Fish stocks

Fish populations

 

On constate que la rédaction a opté pour des expressions plus percutantes et des formulations plus concrètes, facilement comprises par le public. Le professeur Shane Gunster, chercheur en communication climatique à l’université Simon Fraser, est aussi d’avis que de présenter la situation climatique comme une crise ou une urgence incite à l’action. De son côté, le Center for Research on Environmental Decisions de l’université Columbia a publié en 2009 un guide intitulé The Psychology of Climate Change Communication, qui prône un langage clair, loin du jargon scientifique, pour mieux rejoindre le public.


Il semble que le secrétaire général de l’ONU a adopté l’approche percutante. Le 11 septembre 2022, il parlait de carnage climatique pour décrire les inondations qui ont frappé le Pakistan. « J'ai vu de nombreux désastres humanitaires dans le monde, mais je n'ai jamais vu de carnage climatique de cette ampleur. Je n'ai simplement pas de mots pour décrire ce que j'ai vu aujourd'hui. » On ne peut que constater que ça frappe beaucoup plus l’imaginaire que la simple expression « changement climatique ».


Les organisations peuvent donc démontrer leur engagement en matière de responsabilité sociale en choisissant des mots qui viendront appuyer leurs valeurs et priorités environnementales et sociales.

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